LA RECONCILIATION PASSE PAR LA REHABILITATION DES VICTIMES, DE LA NATION ET DE L’ETAT
On parle en Algérie de la nécessité de résolution du conflit qui secoue l’Algérie. Quelles sont selon vous la nature et les origines de ce conflit ?
L’origine du conflit qui secoue l’Algérie depuis janvier 1992 remonte à l’aube de l’indépendance lorsque deux putschs ont été exécutés : l’un culturel et idéologique, l’autre politique et militaire.
Le premier a transformé l’Algérie d’un « Etat démocratique et social dans le cadre des principes islamiques», comme promis par les révolutionnaires dans la célèbre Déclaration du 1er Novembre 54 qui a soudé le peuple dans l’une des plus violentes lutte pour l’indépendance du XXième siècle, en un Etat officiellement « socialiste » gouverné par un parti unique, selon une idéologie unique, comme prévu dans la Charte de Tripoli.
Le second putsch, conséquence logique du premier, fut la guerre livrée par l’armée des frontières, dirigée par le colonel Houari Boumédiène, contre les révolutionnaires de l’intérieur, dont la majorité avaient refusé la domination militaire consacrée à Tripoli en 1962 au nom du socialisme. Le sang d’Algériens dignes a été versé par les mains de leurs « frères », poussant le peuple à sortir dans la rue et scander : « Sept ans de guerre, ça suffit ! ».
Boumédiène a réussi à contrôler la situation grâce à une conjoncture internationale favorable, un charisme toujours présent, le désir du peuple de mettre fin à la lutte fratricide pour le pouvoir, et surtout grâce à son bras sécuritaire toujours plus puissant, appelé Sécurité militaire (SM), chargé de liquider physiquement les adversaires du colonel devenu président après avoir pris le pouvoir en juin 1965, sous prétexte de préserver les acquis de la révolution menacés par les traîtres et les comploteurs.
Dans sa lutte effrénée pour sauvegarder son pouvoir, Boumédiène a usé de tous les moyens y compris le recours aux déserteurs de l’armée française (DAF), c’est-à-dire les Algériens qui combattaient jusqu’à l’approche de l’indépendance au sein de l’armée française pour que l’Algérie reste attachée à la métropole.
Ceux qui avaient combattu la révolution du peuple algérien au nom de la France mère patrie.
Le colonel Chadli Bendjedid, désigné par l’état- major et les services pour succéder à Boumédiène, décédé relativement jeune (46 ans) suite à une maladie mystérieuse, a fait face dès les premiers mois de son intronisation à des soulèvements populaires, à commencer par les émeutes de Kabylie en 1980 (Printemps berbère), suivies par celles de Sidi-Belabbès et Laghouat (1981), Oran (1982), Constantine (1985), la Casbah (1986) en passant par le mouvement insurrectionnel de Bouyaali dans la périphérie de la capitale. Tout cela a convergé vers le grand soulèvement d’Octobre 1988.
Cette contestation populaire, ajoutée au vent de changement qui balayait les systèmes de pensée unique en Europe de l’Est, jadis sources d’inspiration pour les idéologues du socialisme en Algérie, a contraint les tenants du pouvoir en Algérie à opérer un changement.
La Constitution de 1989 a été élaborée conformément à l’esprit et la lettre de la Déclaration du 1er Novembre 54, dans l’espoir que cela atténue la pression exercée par un peuple qui ne cessait de revendiquer la liberté dans un Etat démocratique et social dans le cadre des principes islamiques.
Mais les officiers de l’armée française, devenus généraux vers la fin des années 80, et qui ont occupé les postes clé au sein de l’institution militaire et des services de renseignement, ont été terrifiés par la volonté populaire de changement exprimée à travers les urnes le 26 décembre 1991.
Un changement que le peuple voulait substantiel et radical, apte à mettre fin à un système qui avait noyé l’Algérie dans des crises successives malgré les ressources considérables du pays et son héritage révolutionnaire et civilisationnel.
Ce fut alors le début de la décennie de la dévastation.
Le long processus d’éradication des véritables islamistes, des véritables nationalistes et des véritables laïcs qui avaient réussi l’examen démocratique a alors commencé.
Le peuple a ainsi payé, et paie toujours au prix fort, l’aventure des généraux putschistes soutenus par une minorité idéologique francophile ayant obtenu moins que 3% des suffrages exprimés lors des élections de 1991. Le décor fut complété
par les pseudo-islamistes et pseudo-nationalistes qui ont accepté de se rallier aux généraux putschistes et de participer à un gouvernement de façade.
La lutte en Algérie n’est pas entre l’intégrisme et l’obscurantisme d’un côté et le modernisme et la démocratie de l’autre, comme le propage la propagande des éradicateurs.
Elle ne peut se réduire à une lutte entre le pouvoir représenté par les généraux et les islamistes représentés par leurs composantes les plus radicales, comme veulent la simplifier certains.
En vérité, il s’agit d’une lutte entre, d’une part, une caste corrompue et corruptrice qui contrôle et domine tout et utilise tous les moyens, les idéologies, les propagandes, les relais à l’intérieur et à l’extérieur, afin de se maintenir au pouvoir et de posséder l’Algérie en tant qu’Etat, peuple et société, et d’autre part un peuple gouverné par la domination, la terreur et l’éradication, mais qui résiste et refuse de se soumettre.
Que peut évoquer la « réconciliation nationale » dans l’esprit des tenants du pouvoir algérien ?
Alors que des responsables politiques sincères ont appelé au lendemain du coup d’Etat du 11 janvier 1992 à une réconciliation réelle entre tous les Algériens, les barons du régime militaire, alliés à une faction idéologique minoritaire, optaient pour l’éradication. Une éradication politique et/ou idéologique, mais aussi physique, de leurs adversaires. Les résultats de cette option criminelle sont maintenant bien connus.
Mais à l’arrivée de M. Bouteflika à la Présidence – et je ne dis pas au pouvoir – les « cerveaux » du régime, c’est-à-dire les généraux des services, se sont convaincus de l’utilité de s’approprier la revendication de l’adversaire dans le but de la vider de son sens, partant de la règle qui dit : « Si tu veux faire avorter une révolution, il faut la chevaucher. Si tu veux tuer une idée, il faut se l’approprier.» C’est ainsi qu’ils ont réussi à prendre contrôle du soulèvement populaire en infiltrant les groupes de résistance armée pour en faire un outil de contre insurrection.
Voici qu’aujourd’hui ils veulent s’emparer de l’idée de réconciliation en vue de la tuer.
Mais qu’est-ce qui a changé depuis, sachant qu’hier la réconciliation était rejetée « globalement et dans le détail », et ses adeptes traités de « bande de criminels » soutenant le terrorisme ?
Ce qui a changé c’est le contenu de la réconciliation et sa nature.
Les décideurs du régime – les généraux – et M. Bouteflika, devenu depuis les élections de 2004 un partenaire réel au pouvoir, se sont assurés de deux choses :
1) la politique de l’éradication ne peut se poursuivre que s’il y a un changement de forme et d’étiquette ;
2) l’idée de réconciliation nationale jouit toujours d’une grande popularité dans l’opinion nationale, dans le monde arabe et au plan international.
C’est de ce constat qu’a émergé en 1999 la décision de continuer la politique de l’éradication – avec quelques amendements – dans le premier mandat de M. Bouteflika sous le nom de « concorde civile », et dans son second mandat sous le nom plus alléchant et populaire de « réconciliation nationale ».
Selon M. Bouteflika, les généraux des services et les adeptes de la politique de l’éradication revendiquée ouvertement par le passé, qui se sont transformés, par miracle, en les plus fervents adeptes de la réconciliation, la nature de cette dernière se résume en ce qui suit :
1) Il n’est plus nécessaire d’enquêter sur les drames vécus par les Algériens, car le peuple, en votant pour l’amnistie, pardonnerait aux criminels que sont les islamistes. Il pardonnerait également aux quelques éléments des forces de sécurité qui auraient commis des excès, à titre individuel, dans leur vaillant combat pour la survie de l’Etat algérien, menacé de disparition par le terrorisme islamiste. Il s’agit là de l’occultation de la vérité.
2) Le peuple qui va pardonner à ces criminels, et l’Etat qui va être clément à leur égard, une fois qu’il a montré qu’il était capable de les éradiquer et de les anéantir, ne vont plus leur permettre de pratiquer l’action politique. Il leur suffira de « vivre, manger et respirer ». Il s’agit là de la consécration de l’exclusion.
3) Accréditer la thèse selon laquelle ce que certains appellent « Islam politique » serait un danger non seulement pour la liberté et la démocratie, mais également pour la survie des Etats et des peuples. L’expérience algérienne en serait une preuve probante. Ainsi, l’Etat algérien qui œuvre à la réalisation de la réconciliation maintient sa condamnation de l’Islam en tant que projet de société, et amnistie, avec l’approbation du peuple, les défenseurs de ce projet, tout en combattant toute tentative de mise en œuvre de ce dernier. Il s’agit là de la démonisation de l’Islam.
4) Consacrer le grand mensonge qui attribue l’origine de la tragédie algérienne aux islamistes et à eux seuls, car ce sont eux, selon cette thèse, qui auraient pris les armes contre l’Etat et contre le peuple qui les avait élus ; ils auraient alors commis les crimes les plus abominables contre l’humanité. Il s’agit là d’une grossière falsification de l’histoire.
Quelle réconciliation pour l’Algérie ?
La réconciliation passe par la réhabilitation des victimes, de la nation et de l’Etat
Depuis l’indépendance, mais particulièrement durant la décennie dernière, une partie de l’opposition a dénoncé la mainmise des militaires sur l’Etat, sur la gouvernance du pays, sur la société et sur les richesses nationales comme cause principale de tous les dysfonctionnements et de l’impasse nationale.
Or, depuis la seconde ré-élection de Bouteflika et la démission du général Mohamed Lamari, on observe un recul de ce discours.
Ce recul reflète-t-il un changement réel dans la nature du régime ? Sinon, peut-il y avoir dans ces conditions une véritable réconciliation nationale ?
Depuis l’indépendance, le pouvoir qui gouverne l’Algérie n’a pas changé substantiellement de nature même si sa façade a changé de forme avec les années. Il s’agit d’un pouvoir basé sur trois centres d’influence et de décision divergents entre eux en ce qui concerne le contrôle de la société et des ressources du pays, mais en parfait accord lorsqu’il s’agit de faire face à un adversaire commun.
Ces trois centres sont : la présidence, l’état- major et les services de renseignement qui dominent toutes les autres institutions. Ils se caractérisent par le despotisme dans l’orientation, la violence dans l’action, l’extrémisme dans les positions, l’exclusion de l’Autre, quel que soit la nature de cet Autre : idée, idéologie, organisation politique ou syndicale, groupe ou individu, et quelle que soit sa qualité, du moment où cet Autre est perçu comme une menace contre le pouvoir de cette triple entité.
C’est dans ce cadre qu’il faut expliquer la sauvagerie qui sévit en Algérie. Le pays peut s’effondrer et se désintégrer, mais le pouvoir doit se maintenir et se consolider.
La dynamique du conflit interne entre les trois centres d’influence et de décision conduit à la domination de l’un d’eux mais temporairement seulement, car il s’agit d’un mouvement circulaire continu.
Le début des années 60 a connu la domination des chefs d’état-major sur le triangle du pouvoir, et une fois que le chef de l’armée, Houari Boumédiène, s’est installé à la présidence, cette dernière a dominé l’état-major et les services. La disparition précipitée de Houari Boumédiène à la fin de 1978 a rétabli la balance en faveur de l’état-major et des services qui ont désigné le plus ancien plus haut gradé de l’armée comme président.
Le colonel Chadli Bendhédid qui ne tenait pas particulièrement à ce poste mais qui l’a quand même occupé pendant près de treize ans, a redonné à la présidence un vrai pouvoir.
En juin 1991, l’acte premier du putsch a été conduit par les chefs de l’état-major et des renseignements, après leur retrait temporaire à la suite de l’insurrection d’octobre 88 qui a donné la fausse impression que l’ère militaire était révolue.
L’acte II du putsch a eu lieu en janvier 1992 lorsque l’état-major et les services ont pris le contrôle total du pays pour le garder jusqu’à 1999, en dépit des tentatives des présidents Mohamed Boudiaf et Liamine Zeroual à rétablir un équilibre entre les trois centres d’influence et de décision.
Ces tentatives ont cependant été vouées à un échec dramatique : Boudiaf a été assassinée au vu de millions de téléspectateurs et Zeroual démis de ses fonctions après une campagnes de massacres à l’échelle nationale.
La nomination de M. Bouteflika à la présidence en 1999 a rétabli un certain équilibre entre les trois centres de décision. L’élection d’avril 2004, organisée sous le contrôle des services, a conduit progressivement à la domination de la présidence sur l’état-major.
Comme je l’ai déjà signalé, les services ont décidé d’adopter le slogan de la « réconciliation nationale » après avoir vidé ce concept de tout son sens.
C’est un nouveau slogan qui succède à celui de l’« éradication » qui a caractérisé durant toute la décennie 90 l’idéologie officielle et la politique suivie par le pouvoir. L’un des buts du slogan de la « réconciliation nationale », dans l’esprit de M. Bouteflika, est de rétablir la domination du triangle du pouvoir par la présidence, non en tant qu’institution civile représentant le sommet de la pyramide du pouvoir, élue démocratiquement, ce qui aurait été un objectif louable, mais comme une composante du triangle du pouvoir qui ne peut survivre sans ses deux bras armés, même aux ongles limés.
M. Bouteflika continuera à augmenter son pouvoir et à réduire celui des services, comme il avait fait avec l’état-major, surtout que les hauts responsables des services sont usés par le pouvoir.
Certains d’entre eux occupent le même bureau depuis quinze années et ont vu défiler cinq présidents, treize chefs de gouvernement, et quelques centaines de ministres.
En renforçant son pouvoir, M. Bouteflika ne changera pas la nature du pouvoir.
Au contraire, il ne fera que la consacrer car sa culture politique conçoit l’Etat comme la propriété du pouvoir, et le peuple comme la propriété de l’Etat.
L’insurrection d’octobre 88 a été une tentative populaire réelle pour changer le système, mais elle a été avortée. L’élection de décembre 91 a été une tentative démocratique originale dans le monde arabe pour changer la nature du pouvoir, mais elle a été mise à l’échec.
La nature du pouvoir en Algérie ne changera jamais de l’intérieur, quels que soient les slogans et les manœuvres. Elle ne changera que par la volonté d’un peuple insurgé.
La communauté internationale s’oppose à l’amnistie qui consacrerait l’impunité dans divers conflits.
Pensez-vous que cette communauté aura la même attitude dans le cas algérien ?
La notion même de communauté internationale mérite quelque clarification, surtout qu’elle signifie de plus en plus la position de l’Occident qui domine la scène internationale dans la gestion des crises mondiales partant de ses propres concepts et de façon à sauvegarder ses propres intérêts.
Lorsqu’on considère la position de l’Occident, on constate heureusement qu’elle n’est pas monolithique, mais diverse, et l’on note principalement deux positions vis-à-vis de l’idée de réconciliation nationale en Algérie.
1) Position des gouvernements toujours orientés vers leurs propres intérêts souvent sans tenir compte des valeurs de liberté et de démocratie réduites à la forme de slogans.
Ces intérêts sont le mieux protégés dans le monde arabo-musulman par des régimes despotiques auxquels on a opéré des réformes cosmétiques pour les rendre plus acceptables auprès de l’opinion publique occidentale.
Ainsi, le régime dirigé par M. Bouteflika représente la forme idéale de régimes souhaités par les gouvernements occidentaux dans le monde arabo-musulman.
C’est un régime nationaliste en apparence, mais fondamentalement anti-nationaliste ;
C’est un régime à façade démocratique, mais foncièrement dictatorial ;
C’est un régime civil en apparence, mais de nature profondément militaire.
C’est donc un régime agréé par les gouvernements occidentaux qui bénissent toutes ses actions du moment où il est capable de faire passer des politiques sécuritaires, sociales, économiques, et culturelles garantissant la préservation voire la prospérité des intérêts occidentaux, particulièrement français et américains, parfois illégitimes en Algérie. La visite du président Chirac rendue à M. Bouteflika au lendemain de ladite élection du 8 avril 2004 en Algérie était un geste de félicitation pour son premier mandat et de bénédiction pour le second qui allait prolonger « une démocratie sous état d’urgence ».
2) Position des forces libérales organisées : politiques, religieuses, intellectuelles, droits-de- l’hommistes, qui accueillent avec beaucoup de suspicion le projet de loi d’amnistie générale en Algérie et qui rejetteront les dispositions de cette loi car elles violent des valeurs humaines fondamentales : lutte contre l’impunité, droit des victimes et de leurs proches de savoir la vérité, droit à l’application de la justice – même partielle – aux auteurs des violations des droits de l’homme.
Ces forces libérales, quelle que soit leur forme, qui représentent une certaine conscience des peuples du monde qui refusent le despotisme et l’injustice, vont sans doute, par leur position, générer une réaction violente d’un pouvoir algérien habitué au soutien inconditionnel de l’Occident depuis le coup d’Etat de janvier 1992.
Quelles sont selon vous les conditions qui rendraient crédible un référendum sur la réconciliation nationale, que ce soit au niveau de la question posée aux citoyen, ou le climat politique (état d’urgence) dans lequel il se prépare et il se tient ?
Si M. Bouteflika tient vraiment à une réconciliation nationale apte à panser les blessures des Algériennes et des Algériens causées par un conflit violent qui a trop duré, alors il doit réunir les conditions de sa réussite.
1) Réhabiliter le peuple Le pouvoir doit présenter des excuses officielles pour le coup d’Etat du 11 janvier 1992 qui a ouvert les portes de l’enfer terrestre pour les Algériens, et doit demander pardon au peuple détenteur de la souveraineté et source de la légitimité. Il doit condamner solennellement le coup d’Etat contre la volonté populaire exprimée lors des élections interrompues et s’engager à ce qu’une telle mésaventure criminelle ne se reproduise pas à l’avenir.
2) Réhabiliter l’Etat Le pouvoir doit présenter des excuses officielles pour la domination des généraux putschistes à la suite du coup d’Etat de 1992 sur l’Etat et ses institutions, notamment le parlement et la présidence. Il doit restituer aux institutions de l’Etat toutes leurs prérogatives constitutionnelles et en faire de véritables institutions élues au lieu de piètres instruments de contrôle de la société entre les mains de la caste militaire.
3) Réhabiliter les victimes et leurs proches Le pouvoir doit faciliter l’établissement de la vérité sur ce qui s’est passé depuis le premier jour du coup d’Etat, par la constitution d’une commission nationale regroupant des experts nationaux et internationaux pour investiguer les violations graves des droits de l’homme : tortures, enlèvements et massacres, pour établir l’identité des GIA et pour élucider la question de qui a tué qui ?
Quelle réconciliation pour l’Algérie ?
La réconciliation passe par la réhabilitation des victimes, de la nation et de l’Etat
4) Réhabiliter l’action politique et d’information Le pouvoir doit lever l’état d’urgence et abolir toutes les lois contrevenant aux libertés publiques de quelque nature que ce soit, annulant rétroactivement leur effet depuis le 11 janvier 1992.
5) Réhabiliter le pouvoir
Le pouvoir doit faciliter sa propre réhabilitation en commençant par limoger les officiers militaires et fonctionnaires de rang supérieur promus entre 1992 et 2004, et examiner au cas par cas tous les fonctionnaires nommés par décret, y compris les chefs de gouvernement, les ministres, les walis, les hauts magistrats, et surtout les officiers militaires à partir du grade de colonel.
6) Réhabiliter l’armée et les services de sécurité Le pouvoir doit, comme première mesure, radier immédiatement tous les généraux putschistes pour avoir commis des crimes assimilables au regard du code militaire à la haute trahison punissable par la peine capitale, et mettre à la retraite tous ceux qui ont occupé des postes de commandement au sein de l’armée, des services de renseignement, de la police et de la gendarmerie. Il doit également démanteler tous les organes de répression, notamment les centres de tortures.
Il s’agit là de quelques conditions qui, une fois réunies, redonneront aux Algériens l’espoir que l’Etat de droit est réellement en construction, et qu’il a été réellement mis fin au pouvoir arbitraire des généraux.
Ceci ne prive en aucun cas les Algériens de leur droit de poursuivre les criminels quelle que soit leur identité, pour les crimes qu’ils ont commis. Le droit à la justice ne doit être abandonné pour aucune considération.
En particulier la justice ne doit pas être troquée pour la vérité comme ce qui s’est fait en Afrique du Sud. La situation algérienne a ceci de particulier, qu’un pouvoir a martyrisé son peuple alors qu’il était censé le protéger, et a ruiné le pays qu’il était chargé de défendre.
On voit depuis quelques années des parlements d’Amérique latine révoquer leurs lois d’auto amnistie pour répondre aux besoins de justice qui n’ont cessé d’être revendiqués durant des décennies par les victimes des répressions des régimes militaires.
De tels développements vous semblent-ils envisageables en Algérie? Si oui sous quelles formes ?
La plupart des pays d’Amérique latine ont été gouvernés dans les années 70 et 80 par des dictatures militaires soutenues par les Etats-Unis, comme la dictature algérienne est soutenue par la France. Mais lorsque ces dictatures ont commencé à s’effriter sous la pression interne et externe, les dictateurs se sont accordés des privilèges politiques et des garanties juridiques afin d’échapper à toute poursuite pour les abominables méfaits qu’ils avaient commis contre leurs peuples.
D’ailleurs le projet de réconciliation et d’amnistie générale proposé aux Algériens s’inspire largement des précédents d’Amérique latine. Mais ces dernières années, les hauts responsables de ces régimes sont de plus en plus soumis aux poursuites, comme ce fut le cas du Général Pinochet. Ceci est très symbolique et devrait inciter à la réflexion en Algérie.
En fait, Pinochet apparaît comme un ange lorsqu’on le compare aux généraux putschistes algériens. D’après les faits établis, il n’aurait fait tuer que 3000 personnes contre 200000 à l’« actif » de ses comparses algériens. De même, il n’aurait fait disparaître que quelques centaines d’opposants dont le sort est toujours inconnu, alors qu’en Algérie on compte environ 20 000 disparitions. En outre, si Pinochet, dont le règne a duré près de quatorze ans – presque la même longévité que celle du régime putschiste algérien – a bâti une économie solide pour son pays, les généraux d’Alger se sont distingués par la destruction quasi-totale de l’économie nationale, en encourageant entre autres fléaux, l’économie du trabendo. On parle même de tel « Général du café » ou « Général du sucre » ou « Général du ciment », etc.
C’est parce que l’on n’arrive jamais à bout de la volonté des peuples vivants, que l’on observe comment Pinochet a fini par être poursuivi, et ce depuis l’épisode de Londres en 1997. Cette poursuite continue en dépit de son état de santé qui se dégrade. Les crimes contre l’humanité ne s’oublient pas, ne se prescrivent pas et échappent à l’amnistie, quels que soient l’auteur et les circonstances.
Ainsi, les généraux putschistes algériens et autres officiers tortionnaires et responsables des disparitions forcées, des exécutions sommaires et des massacres peuvent jouir temporairement de l’amnistie de M. Bouteflika ; viendra l’heure des comptes ici-bas – avant celle du Jugement dernier – où ils seront interrogés sur leurs méfaits et devront payer pour leurs crimes. Tant qu’il y aura des femmes et des hommes en Algérie déterminés à les poursuivre, ils n’échapperont pas à la justice des hommes sous une forme ou une autre, devant des juridictions intègres et équitables, peut-être à l’extérieur, mais surtout à l’intérieur du pays, j’en ai l’intime conviction.
Mohamed-Larbi Zitout
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